lundi 7 septembre 2009

V) Les anciennes lignes de fractures philosophiques doivent être reconsidérées (V-1 Matérialisme versus Idéalisme)


Il ne s’agit pas ici de refaire un cours élémentaire d’épistémologie, nous nous contenterons d’un bref rappel des oppositions classiques qu’aiment à faire les philosophes.
La philosophie a souvent été articulée selon certaines « lignes de fractures » et oppositions telles qu’avec les idéalistes contre les matérialistes, ontologie ou essentialisme contre nominalisme, marxistes contre capitalistes, platoniciens contre aristotéliciens, empiristes contre réalistes ou idéalistes…
Au sein de tous ces débats, un fait frappe : chacun défend ses positions en ignorant quelque fois des découvertes récentes bien que reposant sur des bases pourtant anciennes, et notamment celles de secteurs des connaissances définis comme non philosophiques comme la systémique.
Les lignes de fractures classiques sont, sauf omissions :


V-1) Matérialisme versus Idéalisme

Les idéalistes, dont l’origine réellement conceptualisée se trouve chez Platon, considèrent qu’il existe un monde des idées séparées, plus important, premier et déterminant, que le monde « sublunaire » qualifié aussi de « bas-monde », en bref la terre. Ce monde des idées séparées contient des formes dites « à priori » qui vont imprégner la matière en tombant de leur monde dans le nôtre, et lui donner sa forme, la matière apportant l’individuation aux idées. Le monde des idées est statique, intemporel, la matière, elle, est sans forme, mais le mariage entre les deux donnant lieux aux individus qui sont sensible au temps. A la fin d’un individu, quel qu’il soit, vivant ou non, être humain ou non, la forme rejoint sa matrice-forme générique dans le monde éternel des idées. Cela explique pourquoi on retrouve tant de formes identiques dans des individus si différents, comme la forme « patte » ou la forme « œil », et pourquoi elles sont si parfaites. La forme la plus accomplie de l'idéalisme a été développée par Berkeley (évêque de son état) qui soutien que ce qui est premier ce sont nos sensations et que le monde n'est qu'un assemblage de sensations. D'absolutiste avec Platon, l'idéalisme devient alors relativiste car notre compréhension du monde devient une affaire personnelle, variant du tout au tout d'un individu à un autre, le mode réel étant un rêve qui n'existe pas vraiment. Seul l'individu existe, et est même en droit de considérer qu'il est seul à avoir une existence réelle, les autres être humains n'étant eux aussi que des sensations pour lui. Berkeley et ses successeurs, ont cru que cette thèse était nécessaire à la croyance en Dieu et à la religion, c'est pourquoi elle a été doublement -et violemment- combattue par Engels puis Lénine, au titre du matérialisme et au titre de l'athéisme.
On a opposé aux idéalistes (le terme lui-même devenant péjoratif) les matérialistes, tenant pour principe que tout était matière et restait matière, les êtres vivants comme les minéraux n’étant que des matières « arrangées » différemment, voire des matières uniques intrinsèquement différentes. L’un des premiers matérialistes a été Démocrite et sa théorie des atomes crochus qui s’accrochaient entre eux afin de constituer les différents corps connus. Leibniz a réinventé la théorie de Démocrite par ses monades atomiques qui s’assemblent entre monades présentant des affinités entre elles, au hasard de leurs rencontres pour former les corps que nous connaissons. Le matérialisme a connu un grand succès au XIX° et XX° siècles avec Marx, mais celui-ci a d'une part largement fait évoluer le concept de matérialisme, et d'autre part a lui-même été complété par ses successeurs avec le Matérialisme Dialectique d'Engels puis de Lénine et Staline, voir l'analyse de la dialectique plus loin. Pour le Matérialisme marxiste « traditionnel », tout vient de la matière et reste matière, les deux concepts d'émergence et de finalité, ou même de téléonomie étant résolument refusés. Ces deux rejets sont même au cœur de l'opposition (supposée) avec l'idéalisme. Il révèle simultanément de l'incompréhension des deux côtés (matérialistes et idéalistes) de ces deux concepts clés. En effet chez les idéalistes il n'y a pas d'émergence, pas plus que chez les matérialistes. La forme n'émerge pas de la matière chez eux puisqu'elle vient au contraire d'une idée transcendante, « d'en haut » qui vient s'imposer de force à la matière. La finalité de même n'est pas plus idéaliste que matérialiste, car les idéalistes en bon platoniciens n'envisagent pas d'évolution du système ou de l'être puisque la forme s'incarne en quelque sorte d'un seul coup dans la matière, cette forme étant éternelle et immuable. Les matérialistes eux croient nécessaire de rejeter toute forme de finalisme, même la téléonomie, de crainte de voir la résurgence de de la croyance en une divinité créatrice agissant comme un ingénieur ou un architecte pensant, planifiant sa création avant de la réaliser. Cependant on cite souvent Marx lui-même avec « Ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche » (dans Le Capital Tome I), qui résume pourtant l'acceptation (paradoxale certes) d'une approche par téléonomie de l'abeille. Même si elle est décrétée par Marx comme inférieur à l'architecte, elle agit cependant bien en fonction d'un but, d'un objectif, d'une finalité en construisant un édifice complexe et parfaitement optimisé en fonction de ses besoins. Enfin le Matérialisme se définissant comme scientifique comme le fait M. Bunge par exemple [BUNGE, Mario, 2008], tente une synthèse moderne acceptant certains concepts systémiques tel que l'émergence, mais rejetant toute finalité ou même téléonomie comme à la fois non scientifique et non matérialiste, à l'encontre de ce que soutient le Constructivisme au plan scientifique. Par contre, tout comme la Systémique, M. Bunge rejette à juste titre la dialectique et le matérialisme dialectique comme relevant d'une pensée archaïque pré-scientifique.
Enfin il faut souligner que le matérialisme, tout comme la Systémique et le Constructivisme, accepte les mouvements de la matière, son évolution dans le temps, que ce soit en amélioration ou en dégradation. Pour F. Engels c'est même l'un des points principaux de l'opposition avec l'idéalisme, ainsi F. Engels écrit : « Lorsque nous soumettons à l'examen de la pensée la nature ou l'histoire de l'humanité, ou notre propre activité mentale, ce qui s'offre à nous tout d'abord, c'est le tableau d'un enchevêtrement infini de relations, d'actions et réactions, où rien ne demeure ce qu'il était, où il était, comme il était, où tout se meut, se transforme, devient et passe. » [ENGELS, F., Anti-Dühring, p. 52]. Le problème ici, c’est que Engels ne va pas plus loin, car remarquer en passant dans l'Anti-Dühring qu’il y a mouvements de matière, actions et réactions ne suffit pas...

Apport de la Systémique : la Systémique, avec Aristote, opère la synthèse entre ces deux approches. Un système – ou un être-, n’est ni pure Idée, ni pure Matière. C’est un « mélange intime », non pas au sens d’une mixture instable mais d’une solution stable de l’un dans l’autre. L’analyse d’un système peut révéler une organisation ou une structure analogue à l’Idée, en fait Aristote parle alors de Forme, ce qui est très différent, il peut de même révéler une ou plusieurs matières le composant. Ces différentes « matières » ne sont en fait rien d'autres que des sous-systèmes composants le système principal, eux-même organisés et structurés, sans qu'il soit jamais possible de trouver de la matière brute non-formée. De même il ne sera jamais possible de trouver une ou des Formes sans matière. Mais la séparation, et qui plus est l’opposition permanente entre les deux, n’a pas de sens. Au contraire l’étude d’un système révèlera une organisation interne avec probablement plusieurs sous-systèmes en inter-relations, un sous-système de pilotage, des flux internes, etc.…

SUITE du Blog : V-2) Nominalisme versus Réalisme (ou Idéalisme)

 Benjamin de Mesnard

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