dimanche 8 mars 2009

III) Théories alliées à la Systémique (Kuhn, Korzybsky et Gestalt)

III-2-10) Thomas Kuhn et la structure des révolutions scientifiques

C’est -après Karl Popper- Thomas Kuhn qui a contribué à « finaliser » les théories exposées dans le paragraphe précédent en explicitant le concept de paradigme scientifique. Ceci est à rapprocher de l’équivalent logique de l’espèce chez Darwin. T. Kuhn a bien décrit la boucle de rétroaction existant entre l’apparition d’une nouvelle théorie scientifique résistante aux tests, devenant peu à peu le nouveau paradigme implicite accepté par toute la communauté, et modifiant par retour l’environnement scientifique (boucle de rétroaction d’éco-auto-ré-organisation). Ce paradigme nouveau peut à son tour devenir un obstacle au développement et à l’extension d’une nouvelle théorie – même résistante aux tests expérimentaux – et « meilleure » que les théories précédentes. Pour continuer sur l’analogie darwinienne, comme un environnement qui tarderait à changer sous l’influence d’une nouvelle espèce tendant à le modifier. Ainsi, l’atmosphère de la terre à mis des millions d’années à s’enrichir en oxygène sous l’effet des nouvelles espèces vivantes qu’on été les végétaux. De même, les milieux scientifiques ont mis un demi-siècle à intégrer véritablement les théories quantiques (et la relativité générale) car elles heurtaient trop violemment le « bon sens » newtonien des scientifiques du début du XX° siècle.

III-2-11) Alfred Korzybsky et la Sémantique Générale

Korzybsky a écrit deux ouvrages intitulés « Sémantique Générale » en 1933 et « Science and Sanity » et il a produit plusieurs articles entre 1920 et 1950. Il a construit un système présenté comme non-aristotélicien dans le but de créer une rupture dans l’esprit des lecteurs. Aristote étant pour A. Korzybsky le prototype même d’un état d’esprit rigide et ignorant. Son système pourrait plutôt se présenter aujourd’hui comme non-sens commun ou anti-sens commun. Ses attaques contre Aristote ont souvent été mal comprises. Ce que voulait signifier A. Korzybsky, c’est que son approche allait au delà des approches aristotéliciennes, non pas qu’elles soient fausses, mais en les englobant, comme la Relativité Générale va au delà de Newton. C'est pourquoi il parle de non-Aristotélisme et non d'anti-Aristotélisme. Il voulait aussi secouer la rigidité dans laquelle étaient tombés beaucoup de philosophes par le cartésiano-positivisme se réclamant d’Aristote, en ne retenant de lui que les syllogismes.
Pour A. Korzybsky, il faut retenir trois préceptes de base si l’on veut garder un esprit sain face au monde au réel tel qu’il est. Ceux-ci peuvent être donnés par analogie avec la relation entre une carte et le territoire :
1. Une carte n'est pas le territoire.
2. Une carte ne représente pas tout le territoire.
3. Une carte est auto-réflexive en ce sens qu'une carte "idéale" devrait inclure une carte de la carte, etc., indéfiniment.
Appliqué à la vie courante et au langage, cela donne :
1. Un mot n'est pas ce qu'il représente.
2. Un mot ne représente pas tous les "faits", etc.
3. Le langage est auto-réflexif en ce sens que nous pouvons l'utiliser pour parler à propos du langage (concept typiquement Systémique et Constructiviste, repris notamment par E. Morin).
On retrouve bien là un certain nombre de concepts systémiques tels que les niveaux, la réflexivité et l’auto-réflexivité, la nécessité des démarches d’abstraction conscientes, la modélisation (la carte), ou les boucles de rétroactions. Comme la Systémique, elle peut être vue comme une méthode de travail utilisable dans tous les travaux scientifiques (ou non), comme une méta-méthode. Elle s’oppose clairement à Descartes, autre inventeur d’une méta-méthode, car A. Korzybsky insiste souvent et clairement sur le fait que l’on ne peut se contenter de séparer le réel en petites pièces facilement analysables pour tout connaître, mais qu’il faut tenir compte du fait que le tout est supérieur aux parties : « le système nerveux humain comme-un-tout », concept typiquement aristotélicien ! Notamment pour lui, la formulation d'un système général, fondée sur les méthodes physico-mathématiques d'ordre, de relation, etc., permet d’édifier un système qui rendrait possible des évaluations appropriées et, par conséquent, une meilleur prédictibilité du réel.
Enfin A. Korzybsky doit absolument être rapproché de T. Kuhn car il est clair qu’une nouvelle théorie scientifique qui réussit à s’imposer en devenant un paradigme, finira par devenir le monde réel aux yeux des scientifiques, et au-delà. Ainsi le paradigme se met à échapper au premier précepte sanitaire d’A. Korzybsky : « une carte n'est pas le territoire », ou si l’on préfère le paradigme n’est pas la réalité ! A titre d’exemple, le paradigme cartésien fait croire à la plupart des gens -bien au-delà des seuls scientifiques- que le monde réel pourra bel et bien être découpé en petites parties sans problème. Ou bien, le paradigme newtonien fera croire au public qu’une loi locale demeurera vraie à grande échelle sans aucune remise en cause, approche clairement non-systémique par ignorance notamment du concept d’émergence. 
En résumé A. Korsybski va au-delà d'Aristote, et également de Descartes, tout comme la Systémique, et fait la critique justifiée des syllogismes, et surtout de leur usage exagéré et caricatural tel qu'il en a été fait à la fin du Moyen-Age.

III-2-12) Gestaltisme (ou théorie de la forme “Gestalt-théorie”)

Théorie de la psychologie moderne, issue des travaux de Wertheimer (1880), qui conçoit l’étude des systèmes psychiques ou physiques selon une approche structuraliste. Elle considère les phénomènes dans leur totalité, sans tenir compte des éléments isolables et sans signification hors de cet ensemble organisé. Cette théorie a d’abord été appliquée aux processus perceptifs, organisés en formes qui suivent des lois spécifiques :
  • lois d’homogénéité de l’objet, de proximité ou de similitude, dont les variations peuvent renforcer ou amoindrir la portée du stimulus et de ses effets. Constance de la forme qui est résistante à son changement, par un effet de mémoire de la forme réelle sur celle qui est perçue
  • lois de la relation figure-fond, prégnance de la « bonne forme », forme privilégiée, régulière ou symétrique. Cette théorie suppose les mécanismes d’individualisation des objets dans un champ, de leur action réciproque et des interactions entre les deux, des rapports entre la réponse perceptive et la stimulation. Elle s’est étendue à de nombreux domaines psychologiques et à la médecine. Le Gestaltisme est lié au Connexionnisme au sens où l’ayant précédé, il n’a pu utiliser la puissance de l’électronique moderne qui a permis de vérifier où d’infirmer beaucoup de thèses du Gestaltisme. Par exemple celui-ci prédisait un mode d’analyse/perception d’images qui a pu être vérifié (simulé) avec certains réseaux de neurones artificiels beaucoup plus tard. Dans la pratique aujourd’hui, cette théorie se retrouve dans les algorithmes de reconnaissance de formes, de visages (biométrique), de configurations de courbes pathologiques par exemple en cardiologie, etc... 
SUITE du Blog : Théories alliées à la Systémique (Constructivisme Épistémologique)

Benjamin de Mesnard

Aucun commentaire: