dimanche 16 novembre 2008

III) Théories alliées à la Systémique (Aristote)

III-2) Théories apparentées à la Systémique :
III-2-1) Aristotélisme

Aristote est à la fois le philosophe de l’ontologie et du concept systémique, bien qu’il existe une différence entre Aristote et la Systémique sur le concept de finalité. Par contre sur beaucoup d’autres aspects on ne peut être que confondu par la clairvoyance de ses développements sur l’être, la forme et la matière. Il faut rapprocher ceux-ci, moyennant les réserves du (III-2-3), des Holons, du système de la Systémique, de l’organisation, et bien sûr de la sentence « le tout est supérieur à la somme des parties » qui rejette Descartes, idéalistes et matérialistes dans l’autre camp de la philosophie.
Un autre point sur lequel Systémique et Aristote se rapprochent… et divergent, est la réintroduction de la finalité. Aristote croyait à la finalité cause première et cause finale, c’est-à-dire à la finalité comme force capable d’attirer à lui l’Être en devenir. La Systémique ne peut pas bien sûr accepter ainsi un tel concept car par trop problématique, sauf dans le cas de systèmes artificiels intentionnels. Mais la Systémique a bien réhabilité le concept de finalité tel que décrit plus haut sous ceux d’ergodicité et d’équifinalité. 
Enfin Aristote employait le terme « abstraction » dans l’acte de connaissance. Dans l’acte de connaissance, nous faisons une abstraction d’après l’image de l’objet perçue par nos sens. Pour reconnaître cette personne qui marche devant moi dans la rue, des images que je reçois en regardant ce personne j’abstrais qu’il s’agit de Socrate. Mais, en rattrapant cette personne, je peux alors m’apercevoir que j’ai fait erreur et que donc mon abstraction était fausse. Dans cette description de l’acte de connaissance par Aristote on retrouve déjà les prémisses de la Systémique : l’abstraction d’Aristote n’est pas autre chose en effet que la construction du constructivisme épistémologique. On peut ajouter que contrairement à ce que croyait Platon, le sujet ne se contente pas de recevoir passivement une image copie conforme de l’objet. En réalité le sujet va devoir abstraire/construire dans sa tête ce qu’il croit comprendre de l’objet qu’il a devant lui.
Ainsi se dessine une nouvelle ligne de fracture en philosophie, qui semble plus pertinente aujourd’hui que celle identifiées dans le passé. Nous reviendrons plus loin sur cette nouvelle ligne de séparation.
  • Liens conceptuels entre Aristote et Systémique :
Aristote
Systémique
Signification
ÊtreSystèmeChoix arbitraire du niveau N ontologique choisi par le chercheur.
FormeStructure du réseau d’inter-relationsRéseau d’inter-relations entre les sous-systèmes composants l’Être-Système.
MatièreSous-systèmes *Les systèmes de niveau N-1
PuissanceCapacité ou disposition de l’Être-SystèmeCapacité ou disposition de l’Être-Système à se modifier, s’éco-auto-ré-organiser, s’adapter, ou à simplement agir face à un environnement changeant.
ActePassage à un nouvel étatL’état nouveau de l’Être-Système après avoir agit, s’être modifié, éco-auto-ré-organisé, ou adapté.
Émergence de nouvelles FormesÉmergence systémique substantielle ou accidentelleÉmergence à un certain niveau de système de propriétés/ comportements/ etc.… nouveaux non calculable et prévisibles depuis les niveaux inférieurs
L’acte de connaissance est une abstractionL’acte de connaissance est une constructionLe sujet est actif, il abstrait, (re)construit dans sa tête l’objet étudié en faisant des erreurs, des approximations pouvant être graves le cas échéant.
Cause accidentelle (Accident)Émergence accidentelleComportement transitoire nouveau (l’émergence) entre deux états dynamiquement stables, non-être : correspond au verbe « estar » en espagnol.
Cause Formelle (Substance)Émergence substantielleÉmergence ontologique, apparition d’un être (un étant) dynamiquement stable et non transitoire : correspond au verbe « ser » en espagnol.
Cause FinaleSystème résultat d'une IntentionCause Finale divine pour les êtres naturels et humaine pour les machines chez Aristote. Systèmes Intentionnels pour la systémique, deux approches différentes bien qu'ayant des points communs... Un débat central.
MétaphoreModélisation AnalogieRecours à la métaphore comme outils de discussion/ raisonnement/ dialogue entre sages. Les modèles systémiques de même sont un moyen d'approcher le réel par analogie.
Phronésis (Prudence)Prudence constructiviste (JB Vico)Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote, l'un des cinq moyens de parvenir à la vérité, par la délibération prudente.
Dialogue entre sagesDialogique (E. Morin)Lié à la prudence : l'homme prudent délibère avec ses pairs afin de soupeser les possibles contingents et prendre une décision, c'est à dire passer à l'action.
Juste Milieu (médiété)Le « Ni-ni » : ni matérialiste ni idéalisteDans la Politique Aristote défend le juste milieu des opinions ou jugements modérées loin des extrémismes. De même la systémique défend via la prudence et les approches par multiples points de vues des positions modérées et prudentes loin des extrêmes et des extrémistes.
Aristote apporte une distinction intéressante entre Être (composé de Forme et de Matière) et Forme. Cette distinction n’est pas identifiée clairement ni dans le structuralisme qui a tendance à confondre les deux, ni dans la Systémique qui identifie mieux la séparation qui existe entre le système complet lui-même et le réseau d’inter-relations qui le compose, mais sans nommer ce réseau. Ce qu’Aristote nomme Forme semble être un bon candidat pour désigner ce réseau d’inter-relations informationnel, comme d’ailleurs le nomme précisément Aristote par in-forme.

Note * : Il faut noter aussi qu’Aristote dit « que chaque ordre inférieur est pour l’ordre supérieur une matière à laquelle celle-ci donne une forme ». Cette pensée est tout à fait remarquable et la profondeur de celle-ci révèle à quel point Aristote avait anticipé la Systémique. Thomas d'Aquin, commentateur d'Aristote, dit ainsi dans la Somme contre les Gentils, livre III : « le tout est en effet toujours meilleur que les parties et il en est la fin », où l'on retrouve la double idée du tout supérieur à la somme des parties, et de la téléonomie donnée par l'étude du tout, du système « complet » et non de ses sous-ensembles séparés. En passant ici on comprend mieux pourquoi Descartes et les Positivistes rejettent logiquement à la fois la finalité et l'approche globale car elles vont de pair.
Enfin il faut noter cette citation de J. Brun : « La forme ne fait finalement qu’un avec l’essence, en tant que telle elle est ce moteur immanent qui dirige chaque chose vers une fin, toute activité motrice est donc par elle-même téléologique. » [BRUN, Jean, 1983]. En effet la Systémique reconnaît bien ce rôle (mettons un instant le débat sur la finalité de côté) dans les différentes actions/ rétro-actions avec ou sans retard de ces réseaux d’inter-relations qui font émerger à un moment donné une ergodicité et une équifinalité par l’apparition d’un nouvel équilibre dynamique ponctué non-linéaire.

Puissance et Acte sont un moyen commode trouvé par Aristote pour intégrer l’influence de la flèche du temps que le Structuralisme a toujours eu du mal à maîtriser et que le Positivisme a vigoureusement rejeté puis ignoré. La Systémique a sur ce plan nettement mieux réussi, ayant bien étudié et décrit la problématique de l’évolution des systèmes, par sélection naturelle ou artificielle ou par intention. Aristote a par contre considéré ces évolutions possibles uniquement par intention, c’est la thèse de la cause finale ou à l’inverse la cause première, qui par intention divine devient cause finale.

La Forme d’Aristote est une structure non pas seulement spatiale, comme l’a cru le structuralisme, mais spatio-temporelle, ce qui permet de résoudre d’un seul coup le problème de l’évolution dans le temps des structures ou systèmes. La puissance d’un être-système est le moyen qu’utilise Aristote pour introduire ce concept et faire comprendre qu’il faut penser à la Forme en termes d’espace mais aussi de temps.
  • Analyse des différentes de causes chez Aristote par rapport à la Systémique :
a) Cause Matérielle :
C’est ce dont une chose est faite, sa matière non formée, matière brute c'est-à-dire sans forme.
b) Cause Formelle :
C’est ce qui donne sa forme à la matière, c’est le modèle, le plan, le moule, l’information, le programme... c’est la définition de l’émergence substantielle Systémique.
c) Cause Efficiente :
C’est la cause motrice, l’origine de la forme ou de l’objet, c’est l’inventeur de l’objet. Tout comme la Cause Finale, la Cause Efficiente ne pose aucun problème de fond pour un objet artificiel intentionnel –l’inventeur est un être humain- mais en pose naturellement un pour les objets ou les êtres naturels.
d) Cause Finale :
C’est le pourquoi de l’existence de l’objet, ce pourquoi il a été inventé ou créé. La Cause Finale qui apparaît est l’expression de l’intention qu’avait l’inventeur de l’objet lorsqu’il a établi les plans (la Forme) de celui-ci. C’est l’objet du Constructivisme épistémologique, c’est l’Ingenium de J.B. Vico. La Cause Finale pose cependant clairement le débat sur l'intentionalité, concept clé s'il en est sur lequel nous reviendrons un peu plus loin.
e) Multiplicité des causes :
Il faut souligner ici qu'Aristote emploie ici « cause » au singulier car au sens générique du terme et non au sens d'une cause particulière. Alors que Descartes s'est spécialisé dans la recherche de la cause unique, singulière, véritablement à l'origine du phénomène étudié dans le but de mettre de côté toutes les autres qui n'interviennent pas; Aristote tout comme la Systémique accepte qu'il y ait de multiples causes à l'origine de ce phénomène. Les interactions entre ces différentes causes pouvant alors rendre très complexe le phénomène observé, rendant malaisé sa compréhension, surtout par un esprit cartésien s'obstinant à ne tenir compte que d'une seule et en ne voulant pas tenir des autres.
  • Analyse des différents aspects de l’Être :
a) L’Être comme catégorie : les catégories sont les modes de l’être, elles sont irréductibles. Aristote en donne une liste fixée à dix termes : essence, quantifié, qualifié, relatif, quelque part, à un moment, se trouver dans une position, avoir, agir, pâtir.

b) L’Être des quatre causes vues ci-dessus.

c) L’Être en Puissance et en Acte. Il différencie déjà le possible de la puissance -le possible n’est pas réel- et tout ce qui est en puissance n’est pas forcément possible. Exemple : un être ne réalise pas dans sa vie tout ce qu’il lui était potentiellement capable (puissance) de réaliser, certaines lui sont restées impossibles bien que en puissance du fait de certaines contraintes circonstancielles rencontrées au cours de sa vie.

d) L’Être comme Vrai. C’est un aspect occulté par Aristote, car il conçoit le vrai comme issu d’une affection de la pensée, qui unit et sépare les choses, et non comme une propriété de l’Être lui-même.

e) L’Être au sens d’accident. Sa cause est indéterminée, car c’est le hasard qui préside aux accidents des ses essences. Pour Aristote il n’y a pas de science de l’accident, car la science s’occupe de ce qui est soit universel, soit habituel.
  • Remarques sur les concepts d’émergences :
a) L’émergence accidentelle est à rapprocher de la cause accidentelle chez Aristote, apparition transitoire d’un phénomène non prévisible ou calculable au vu des sous-systèmes de niveaux inférieurs. Résultat d’un concours de circonstances fortuites, qui aura peu de chances de se répéter pendant la période d’observation.

b) L’émergence substantielle est à rapprocher de la cause Formelle, apparition stable (dynamiquement à travers un équilibre ponctué bien entendu), ayant tendance à se produire à nouveau chaque fois que des circonstances identiques (gradients de températures par exemple) se présentent à nouveau. Cette apparition là encore n’est pas prévisible, n'est pas calculable lors de l’étude des sous-systèmes du ou des niveaux inférieurs, même si elle devient prévisible par ses répétitions à conditions identiques. On entre-aperçoit ici la différence –que ne fait pas Descartes et l’Empirisme- entre cause calculable et prévisibilité. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas calculable ou n'est pas le résultat d’une cause cartésienne unique et isolable, que cette chose n’est pas prévisible.

c) La Systémique par contre ne rejette en rien la cause accidentelle, comme peuvent le soutenir -tel S. Shoemaker à propos de J. Kim- qui défendent en réalité des positions réductionnistes pour tenter de rejeter le concept d’émergence, même sous une présentation nouvelle, quelle soit néopositiviste ou autre. S. Shoemaker défend ainsi l’idée que des dispositions « d’entités microphysiques » sont latentes dans le ou les niveaux inférieurs, expliquant la soi-disant émergence au niveau supérieur, pur épiphénomène. En positionnant l’émergence accidentelle (épiphénomène sans intérêt) comme seul type « d’émergence » possible, par rejet de l’émergence Formelle, ces réductionnistes/ matérialistes/ idéalistes croient pouvoir prendre comme argument que la Systémique ne défend que l’émergence substantielle, en niant l’accidentelle, qui existe pourtant d’une manière incontestable (bien que pour eux épiphénomène), ceci dans le but de d’invalider la Systémique.
  • Analyse du remplacement du finalisme aristotélicien par les propriétés du système :
Le finalisme, et en particulier la Cause Finale d’Aristote, soutient que tout système naturel, comme les artificiels, obéit à une ou plusieurs finalités. Ces finalités ont été pour Aristote assignées et crées par des causes finales dont la quintessence est la Cause Première seule capable d’expliquer les comportements d’apparences finalistes des êtres et systèmes naturels. Les débats ont été et sont toujours violents sur cette question à laquelle la Systémique veut apporter une réponse par les phénomènes décrits plus haut : équifinalité, équilibres dynamiques, ergodicité, etc.… Il s’agit moins de faire ici de l’idéologie anti-cause finale ou anti-aristotélicienne pour la Systémique que de tenter de remonter aux « vraies » causes des comportements des systèmes naturels étudiés. La cause finale par ses conséquences fatalistes a en effet longtemps bloqué l’avancée des sciences. L’esprit humain est effet empêché d’aller plus loin, dès lors qu’une cause finale ad hoc est invoquée pour expliquer tous comportements d’un système naturel.
Le tableau ci-dessous résume quels remplacements des explications finalistes par des explications systémiques ont eu lieu entre Aristote, Saint Thomas d’Aquin, et la Systémique :

Aristote et Thomas d’Aquin
Systémique
Cause efficienteCo-origination, Co-production par des réseaux spatio-temporels d’interrelations et boucles de rétro-actions donnant lieu à une émergence au niveau supérieur.
Cause finaleIngenuim de Vico, Constructivisme épistémologique, étude délibérée des finalités d’un système même s'il est naturel ou artificiel inintentionnel comme l'économie par exemple.
Intention divineIntention systémique
FinalitéÉquifinalité et ergodicité d’équilibres dynamiques ponctués non linéaires
CréationEco-Auto-Ré-organisation
  • Discussion de ces « remplacements de la finalité » :
a) Cause Finale et Rétroactions non-linéaires
La cause finale d’Aristote explique la propension d’un être à converger vers un état final toujours identique « comme si » cet état final futur attirait l’être-système vers celui-ci. La Systémique montre que grâce aux rétroactions existantes à l’intérieur du système ou encore entre celui-ci et son environnement, des boucles de rétroactions créent des états d’équilibres d’autant plus efficacement que ces rétroactions sont non-linéaires. Ces rétroactions sont alors capables dans un domaine limité (domaine d'ergodicité du système), comme on l’a vu, d’absorber, de limiter ou amortir les écarts entre les états initiaux possibles du système, ou bien encore les perturbations infligées au système, pour le ramener à un état d’équilibre. La cause finale a été rejetée sans réflexion par les positivistes au prétexte qu’une cause ne peut pas remonter le temps, qu’une cause doit toujours précéder sa conséquence. Ce rejet les a amené à passer à côté des boucles de rétroactions non-linéaires et des domaines d’ergodicité des systèmes… en bref de la Systémique.

b) Intention Divine et Intention Systémique
Cette cause finale chez Aristote correspond pour les Thomistes (Saint Thomas d’Aquin) à une intention divine qui, via la connaissance des états futurs de l’être-système, pilote celui-ci pour faire en sorte qu’il arrive à l’état final prévu, que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de préprogrammé. L’intention systémique raisonne à l’identique pour les systèmes artificiels intentionnels où son concepteur humain joue le rôle de programmeur. Pour les systèmes inintentionnels (naturels ou artificiels comme l'économie ou la société) la Systémique reconnaît ce phénomène sous le nom d’Intention Systémique afin de correctement identifier ce phénomène mais sans tomber dans l’anthropocentrisme Thomiste. La Systémique observe et reconnaît (contrairement à Descartes) ce qu’elle nomme « attracteur étrange » mis à la mode avec les théories du chaos, et ce qu'elle nomme domaine d'ergodicité. Mais la systémique observe que s’il y a propension à retrouver un certain état d’équilibre dit final après une perturbation, celui-ci peut sembler correspondre à un programme, sans qu’une telle programmation existe pourtant réellement, et donc de programmeur.
La question de l'Intentionnalité est aujourd'hui encore une question centrale, par exemple en matière de politique et d'économie. Avec Aristote, il est sous-entendu que tout être-système vivant est le résultat de l'intention de son créateur, car tout être-système, artificiel ou naturel, a nécessairement un créateur. Or avec la Systémique moderne nous avons pris conscience avec Darwin que les systèmes naturels n'avaient pas forcément de créateur, Dieu, comme le soutiennent les Créationnistes. Avec la Systémique on peut se donner la possibilité de faire « comme si » il y avait une finalité concernant les organes ou les agissement d'êtres vivants, mais en gardant à l’esprit qu’il s’agit là d’une simple commodité. A l'inverse, tous les systèmes artificiels ne sont pas forcément intentionnels, c'est-à-dire pensés délibérément par un ingénieur visant une Cause Finale. Ainsi une voiture est sans aucun doute un système artificiel intentionnel, dirigé par une Cause Finale volonté des ingénieurs l'ayant conçue. A l'inverse, nos diverses sociétés ou cultures si complexes sont bien des systèmes artificiels (puisque de fait créés par l'Homme) mais aucunement résultat d'une Cause Finale, c'est-à-dire de l'intention de quiconque. Nos sociétés sont au contraire le résultat d'une longue histoire, de croyances, traditions, religions, cultures, guerres ou autres événements non écrits à l'avance, débouchant sur des situations économiques et sociétales qui auraient pu être tout autres... C'est ce que souligne F. Hayek, dans ses différents ouvrages en soulignant qu'il faut faire preuve de beaucoup de prudence -vichienne!- avant de partir « fleur au fusil » à vouloir modifier ainsi nos traditions, ou sociétés. C'est bien là toute la question de « l’ingénierie sociale », présomption fatale scientiste dénoncée par F. Hayek [ F. HAYEK, 1988] et également par K. Popper [K. POPPER, 1979]. En effet « l'ingénierie sociale » consiste à considérer que la société ou l'économie doivent impérativement être créés intentionnellement, délibérément, dans le but d'arriver à la société parfaite et à l'Homme Nouveau, car sinon les défauts observés dans la société ou l'économie actuelles ne se corrigerons jamais. Comme l'explicite K. Popper, on évoque bien ici les croyances scientistes du Marxisme, qui, partant de l'indignation fondée de K. Marx face aux abus de son époque, a cru pouvoir refonder totalement la société et l'économie par la croyance en une fin assignée de l'histoire (devenue Histoire) et donc une Cause Finale, intentionnelle, à savoir la dictature du prolétariat, nouveau paradis terrestre pseudo scientifique justifiant tous les totalitarismes et persécutions. De même on retrouve dans cette approche, celle symétrique du Nazisme, avec là aussi un avenir radieux, un fin assignée à l'histoire et un Homme Nouveau. Comme on le voit, les discussions sur la Cause Finale, sont loin d'être dépassées !

c) Finalité et Équifinalité - Ergodicité
Comme on l’a vu plus haut c’est ici qu’intervient l’Ergodicité d’un système, qui est cette propension à revenir à un état d’équilibre -dynamique en l’occurrence- après une perturbation. Cette capacité (puissance aurait dit Aristote…) vérifiable (réfutable !) et testable est alors qualifiée d’Équifinalité afin de bien faire comprendre que l’on se démarque des concepts de finalité et de finalisme aristotélicien pour s’inscrire dans l’observation des équilibres dynamiques dits « ponctués » permettant le retour à un ou plusieurs états dynamiquement « stables » dans un cadre d’évolution permanente. On peut évoquer l’image d’un homme qui marche en étant en état permanent de déséquilibre dynamique en vue de se maintenir dans l’état « final » ou plus exactement équifinal qui est la marche.

d) Création et Eco-Auto-Ré-organisation
On aborde alors à tout le débat (seulement évoqué ici) : création et créationnisme « religieux » contre éco-auto-ré-organisation et auto-organisation « athée ». L’éco-auto-ré-organisation systémique observe en effet que via une suite d’équilibres ponctués, le système peut évoluer pour se réorganiser en interne afin de mieux survivre aux fluctuations de son environnement, de son milieu, spontanément et sans avoir besoin d’une intervention extérieure humaine ou divine. Ceci s’expérimente en laboratoire avec par exemple les réseaux télécoms, les réseaux neuronaux artificiels (à condition d’être réétudié à la lumière de la Systémique et non du Positivisme), les flux de circulation automobiles, etc… On rejoint alors l’opposition étudiée plus loin entre immanence au plan systémique (ou animiste au plan religieux), versus transcendance plato-cartésienne au plan philosophique (ou monothéiste au plan religieux).
  • Analyse de la logique d’Aristote
Beaucoup assimilent à tort Aristote au positivisme parce que les syllogismes d’Aristote ont effectivement été à la base de la logique formelle (ici « formelle » n’a rien à voir avec la Forme d’Aristote).
Deux concepts ont été développés par Aristote :

a) Le syllogisme, et autres logiques : Tout A est B, or C est A, donc C est B.
On désigne par première : Tout A est B, par seconde : or C est A, par conclusion : donc C est B.
Il exact que le syllogisme a donnée naissance à la logique booléenne, logique formelle, logique des prédicats, etc. considérés comme faisant partie de la branche de la Logique des mathématiques, première des sciences « dures » pour A. Comte. Cependant, il ne faut pas oublier qu’Aristote a aussi développé d’autres sortes de logiques. Dans les Topiques : les syllogismes dialectiques, dont les prémisses sont probables et plus seulement vraies, et où il étudie méthodiquement toutes les formes de raisonnements autour de ces syllogismes dialectiques, en particulier certaines formes de discussions dialectiques dont les sophismes, paradoxes, etc.… Nous reviendrons sur ces syllogismes dialectiques plus loin en étudiant la Dialectique d’Hegel, puis d’Engels et Marx, qui n’ont rien à voir avec celle d’Aristote n’en déplaise aux matérialistes dialectiques qui se font valoir de la respectabilité de celui-ci pour soutenir leurs thèses (et antithèses…). Dans les réfutations sophistiques, Aristote traite des raisonnements volontairement déformés dans le but de manipulations. Enfin il a développé l’herméneutique, dans l’Organon, dont l’objet est l’étude des différents modes d’interprétation des textes, réutilisés récemment en Intelligence Artificielle, en Sémiotique et en Linguistique.

b) Logique dite analytique :
Principe d’identité : ce qui est, est. Noté (A=A),
Principe de non-contradiction : rien ne peut être et ne pas être. Noté (B ne peut être A et non A)
Principe du tiers exclu : tout doit soit être, soit ne pas être. Noté (B = A ou B = non A).
Cette dernière logique de part sa qualification d’analytique a suscité malencontreusement de vigoureuses attaques contre Aristote par J.L. Le Moigne et également A. Korsybski dans sa « General Semantic  ». Il vrai que celles-ci peuvent se comprendre dans le cas d’une lutte contre le positivisme régnant. Mais, par manque de connaissance d’Aristote, c’est l’ensemble de sa philosophie qui se trouve ainsi rejetée et qualifiée de cartésienne du fait de cette logique « analytique » et par conséquent comprise comme anti systémique. Ce rejet comme défendu dans cet essai est très dommageable car il fait passer à côté de tout le reste de cette philosophie, notamment sur les aspects de la Forme d’Aristote. Enfin, s’il est exact que cette logique est l’une des pierres de fondation pour Aristote, elle n’est que cela, et n’a jamais été positionné par ce philosophe comme pierre de clé de voûte comme l’ont fait Descartes et A. Comte. Comme on vient de le voir, Aristote a traité de nombreuses autres formes de logiques, adoptant ainsi une approche par multiples points de vue typiquement… systémique.
  • Analyse de l'Éthique d’Aristote [ARISTOTE, p240 à 268]:
Aristote cite 5 moyens de parvenir à la vérité : « ce sont l'art, la science, la prudence, la sagesse, et l'intellect. ». Après avoir rappelé que « toute connaissance qu'elle qu'elle soit est acquise, soit par induction, soit par syllogisme ». Il développe que les choses, les idées, théories contingentes ne peuvent être trouvées seulement par l'intellect. L'intellect pour Aristote ne peut trouver que les idées démontrables, ce qui est le cas des sciences, par les syllogismes. Pour les idées, théories, etc... contingentes, c'est à dire non démontrables directement et qui relèvent du domaine de l'induction, seule la prudence au cours d'une délibération, d'un dialogue -on retrouve la dialogique d'E. Morin- entre sages peut permettre d'avancer en vue de retenir l'hypothèse ou l'option qui semble la meilleure et cela dans le but de l'action. On se rapproche ainsi d'une manière nette de la dialogique projective du constructivisme épistémologique. Ce qui est normal dans la mesure où Aristote raisonne dans un cadre téléologique où le chercheur (ici le sage) doit rechercher la finalité d'un être ou d'une chose, tout comme la systémique va chercher l'équifinalité d'un système. Enfin, pour Aristote, « la tempérance sert à sauvegarder la prudence. C'est bien elle en effet qui sauve et soutient nos jugements pratique. ». C'est ce mode de vie, la tempérance, qui permet de rester suffisamment « stable » pour conserver ses capacités de jugement sur les choses contingentes. Elle permet d'accepter la délibération entre sages (nous dirions aujourd'hui experts pondérés), la remise en cause de ses opinions de manière à, précisément, quitter l'opinion pour adopter la raison. Enfin on retrouve encore le fait d'adopter de multiples points de vues, lors de la délibération, du dialogue, pour parvenir à véritablement faire le tour d'une question. Cette approche ne garanti pas bien sûr comme le souligne Aristote de parvenir à coup sûr à la vérité, c'est à dire à la meilleure décision/option dans l'absolu, mais autorise l'espoir d'avoir évité les erreurs les plus manifestes. On retrouve ici la notion moderne d'optimisation relative ou locale d'un problème, ou encore les solutions particulières des équations différentielles en mathématiques. Ainsi donc cette approche convient bien aux « sciences molles » (sociologie, psychologie, économie, histoire,...) où la logique pure -les syllogismes- s'applique mal, domaine où l'approche cartésienne échoue d'ailleurs le plus manifestement, comme le souligne de même les constructivistes épistémologiques actuels. On voit donc bien ici combien il est dommage que beaucoup des constructivistes rejettent en bloc Aristote sous l'influence de... Descartes et des positivistes (!) et de la caricature qu'ils en ont fait en ne retenant d'Aristote que les syllogismes qui ne sont pour ce dernier qu'un cas de figure parmi beaucoup d'autres.

SUITE du Blog : Théories alliées à la Systémique (Spinoza et Leibniz)

Benjamin de Mesnard

Aucun commentaire: